Traitements hormonaux

Traitements hormonaux

Les mal-aimés de la ménopause

Comment expliquer cette apparente méfiance à l’égard de ces traitements, face aux nombreux désagréments et risques qu’ils pourraient épargner aux femmes ? L’Inserm indique qu’ils peuvent réduire les symptômes gênants, les troubles génito-urinaires et les risques de fracture osseuse, et améliorer l’espérance de vie. Toujours selon l’Inserm, les traitements hormonaux de la ménopause ont été « discrédités » par les résultats d’une étude américaine, la WHI (Women Health Initiative) qui, en 2002, a notamment montré une augmentation du risque de maladies cardiovasculaires alors qu’il s’agissait d’une étude de prévention primaire, et confirmé une légère hausse du risque de cancer du sein, déjà connue. L’Institut signale que cette étude a été menée en majorité chez des femmes plus de 10 ans après le début de leur ménopause, et que les molécules administrées ne sont pas celles utilisées en France, ce qui devrait inciter à la prudence lors de l’extrapolation de ses résultats.

Quoi qu’il en soit, la recommandation est généralement de commencer le traitement au début de la ménopause et en tout état de cause avant 10 ans, de limiter sa durée et d’utiliser la dose la plus faible possible.

Le Dr Brigitte Letombe est gynécologue médicale, spécialiste de la ménopause, membre du collectif All for menopause, membre du bureau de la Société Nationale de ménopause le GEMVi (Groupe d’Étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal) et présidente d’honneur de la Fédération Nationale des Collèges de Gynécologie Médicale. Elle a accepté de répondre à Ménoscope pour nous aider à y voir plus clair.

Docteur Letombe, la ménopause correspond à l’arrêt de la fonction ovarienne, c’est-à-dire de production de deux hormones, l’œstradiol et la progestérone. Chez les femmes qui n’ont pas subi d’hystérectomie, elle est diagnostiquée lorsqu’il s’est écoulé 12 mois depuis les dernières règles. Mais avant cela, pendant plusieurs années, les ovaires commencent à moins bien fonctionner, occasionnant des fluctuations inhabituelles et irrégulières des taux d’œstrogènes et de progestérone. Ces variations nouvelles peuvent provoquer des symptômes multiples, parfois véritablement invalidants. Certaines femmes se voient prescrire un dosage hormonal pour confirmer le diagnostic de ménopause. Est-ce nécessaire ?

En réalité, le dosage n’est pas utile. Les sociétés savantes que sont le GEMVi et la CNGOF ont publié des recommandations pour la pratique clinique en 2021. Ces recommandations stipulent notamment que le diagnostic de ménopause est clinique et correspond à une absence de règles pendant un an, dans la tranche d’âge ménopausique.

Au cours des années de préménopause, les ovaires peuvent travailler à certains moments, et être inactifs à d’autres, parfois pendant plusieurs mois. Si on fait le dosage pendant l’une de ces périodes d’inactivité, on obtient des résultats de ménopause. Et si quelque temps plus tard, la femme a de nouveau des règles, elle s’inquiète. Dans les deux premières années, il peut se produire un « réveil ovarien ». Il faut savoir que lorsqu’ on arrive à la période ménopausique, il reste encore 1 000 follicules, tout petits, invisibles à l’échographie. Il faut consulter dès qu’on a un saignement après un an d’arrêt de règles. Ce peut être un réveil ovarien sans gravité, mais il faut consulter.

Parlez-nous des traitements hormonaux

Il faut distinguer les traitements hormonaux de substitution (THS), destinés à des femmes qui présentent une insuffisance ovarienne prématurée (c’est-à-dire avant 40 ans), des traitements hormonaux de la ménopause (THM).

Toute femme est supposée avoir une imprégnation en œstrogènes jusqu’à 50 ans, sous peine de risques cardiovasculaires, osseux, voire cognitifs, aggravés. En cas d’insuffisance ovarienne avant 50 ans, le traitement apporte des hormones de substitution.

Après 50 ans, c’est le traitement hormonal de ménopause.

Qu’est-ce qui les différencie ?

Ce sont les mêmes traitements, les mêmes produits, mais le dosage en substitution est suffisamment important pour avoir une imprégnation de cycle, tandis qu’en traitement hormonal de ménopause, on donne le traitement minimal efficace, juste ce dont la femme a besoin. La dose est différente.

En 2014, la Haute Autorité de Santé reconnaît le « service médical rendu » des THM mais établit un certain nombre de conditions pour leur prescription : « symptômes gênants au point d’altérer la qualité de vie », « traitement aux doses les plus ajustées et le plus court possible, réévalué au moins chaque année », en raison des risques associés aux THM.
Pourquoi n’y a-t-il pas de recommandations plus récentes ?

Ce sont les dernières publiées par la HAS, parce que des recommandations nécessitent la réunion de spécialistes du sujet. En France, pour faire partie d’une commission HAS, il faut n’avoir aucun « conflit » d’intérêts. Or, tous les spécialistes d’une pathologie ont forcément des liens d’intérêt. Ils ont travaillé sur tel ou tel produit dans telle ou telle étude, participé à des symposiums, etc. Si vous voulez réunir des gens qui n’ont pas de « conflits » d’intérêts, vous réunirez des gens qui ne maîtrisent pas le sujet. Voilà pourquoi les recommandations de la HAS ne changent pas.

En revanche, les recommandations des sociétés savantes, comme le GEMVi, évoluent en fonction de la bibliographie internationale.

La HAS reconnaît tout de même que le seul traitement efficace contre les symptômes climatériques, c’est le traitement hormonal, mais ne parle malheureusement pas de la prévention osseuse. Le fait que les recommandations de la HAS n’aient pas évolué depuis 10 ans explique en partie que le traitement hormonal soit si peu prescrit aujourd’hui. Ça, et le courant sociétal selon lequel puisque la ménopause n’est pas une pathologie, elle ne nécessite pas de traitement.

Résumé de la fiche d’information aux patientes éditée par le GEMVi

Un article de Courrier international de 2022 (source New Scientist) suggère que débuter un traitement hormonal avant le début de la ménopause, à partir du milieu de la quarantaine, pourrait être plus avantageux, notamment concernant les maladies cardiovasculaires. Qu’en pensez-vous ?

À 40 ans, les femmes ont encore besoin d’une contraception, pas d’un traitement hormonal de substitution si elles ne sont pas ménopausées. La contraception bloque le fonctionnement ovarien et complémente avec des hormones de synthèse. À la ménopause en revanche, les ovaires cessent de fonctionner et le traitement est composé d’œstradiol et de progestérone, qui sont des hormones bio-identiques. Ce n’est pas du tout la même chose. Il faut que les femmes en périménopause soient prises en charge pour aller bien, mais pas forcément avec un THM, ça peut être une pilule, un stérilet au progestatif, parfois en additionnant de l’œstradiol en périménopause tardive.

À propos de l’étude WHI

L’idée de la WHI était bonne. Aux États-Unis, la mortalité cardiovasculaire des femmes est de 45 % (30 % en France). On sait depuis longtemps que les œstrogènes sont bons pour les artères. Il y a moins d’infarctus du myocarde chez les femmes que chez les hommes avant la ménopause, mais les courbes se croisent après la ménopause et l’arrêt de l’imprégnation œstrogénique. Les chercheurs se sont dit : « Puisque les œstrogènes protègent, on va faire une grosse étude, 8 000 femmes traitées d’un côté, 8 000 femmes sous placebo de l’autre ». Ils ont utilisé des œstrogènes conjugués équins per os [par voie orale] et un progestatif de synthèse qu’on n’utilise pas en France, l’acétate de médroxiprogesetérone.

Pour faire une étude randomisée contre placebo en aveugle, il fallait que les femmes n’aient pas de symptômes, puisque si vous avez des symptômes, vous savez si vous prenez le placebo ou le traitement efficace. Les participantes sélectionnées étaient donc loin de la ménopause, avec un petit nombre de femmes asymptomatiques âgées de 50 à 60 ans. Seules 25 % des femmes n’ont pas de symptômes à la ménopause. C’est peu, et leur poids dans la globalité de cette étude fut minime. La moyenne d’âge était de 63 ans, il y avait même des femmes de plus de 70 ans, qui ont reçu des comprimés normodosés avec un progestatif de synthèse. Et cela a créé des accidents : embolies pulmonaires, infarctus, AVC… au bout de cinq ans, l’étude a été arrêtée et les auteurs ont déclaré « Le traitement hormonal, à l’opposé de ce qui était attendu, crée des accidents cardiovasculaires ».

Vous vous souvenez où vous étiez au moment des attentats des Tours jumelles ? Moi je me souviens exactement où je me trouvais quand on m’a appelée pour me dire : « Tu as vu les résultats de cette étude ? » J’ai pensé : « Ce n’est pas possible ! Nous, on ne vit pas ça, on n’augmente pas les accidents cardiovasculaires ! »

Quatre ans plus tard, ils nous ont communiqué les résultats par tranche d’âge. On a alors bien constaté une diminution des maladies cardiovasculaires chez les femmes entre 50 et 60 ans. C’était chez les femmes plus âgées – beaucoup plus nombreuses dans l’étude – qu’il y avait une hausse. Vingt ans plus tard, en 2018, une publication du suivi continu de ces femmes a montré que celles qui avaient entre 50 et 60 ans ont conservé une morbi-mortalité réduite par rapport aux autres participantes.

L’intérêt de l’étude WHI, c’est la fenêtre d’intervention. Elle nous a montré que c’est au début de la ménopause qu’il faut traiter les femmes, et pas 10 ans après. Car pendant ces 10 ans, l’absence d’œstrogènes génère des pathologies – diabète, hypertension, hypercholestérolémie – créant des plaques dans les artères. Et lorsque ces femmes ont reçu le traitement, cela a décollé les plaques et provoqué des accidents cardiovasculaires. Cela prouve que les œstrogènes protègent les artères en début de ménopause.

À propos de la protection osseuse, l’étude WHI n’était pas conçue pour des femmes fragiles et les participantes n’avaient pas du tout un profil ostéoporotique. Or, on a observé une diminution de 40 % des fractures chez ces femmes-là, qui n’avaient pas de risque fracturaire. Le premier et le seul traitement de prévention primaire de fracture osseuse, c’est bien le traitement hormonal.

La WHI a beaucoup de résultats positifs : diminution du risque de cancer du côlon – ce qu’on savait déjà mais c’est une preuve supplémentaire – et étonnamment, pas d’augmentation du risque de cancer du sein chez les femmes sous œstrogènes équins seuls, etc. Ce qui est inquiétant, c’est que depuis les résultats de cette étude, il y a une vingtaine d’années, la prescription de THM a tellement diminué qu’il faut s’attendre à une épidémie d’ostéoporose fracturaire chez les femmes qui avaient 50 ans en 2000.

Et la sécheresse vulvo-vaginale ?

Elle est très fréquente, et parfois très tôt en début de ménopause. Imaginez une femme qui n’ose pas en consultation parler de ses difficultés sexuelles et du fait qu’elle n’a plus de rapports parce que c’est trop douloureux. Si son gynécologue ne lui pose pas de questions, ne lui signale rien, alors même qu’il constate une atrophie muqueuse au moment de l’examen et de la pratique du frottis. Cette femme, en rentrant chez elle, pense : « C’est donc normal, il ne m’a rien proposé, je suis vieille et la sexualité, c’est fini pour moi. » Alors qu’il y a des solutions tellement simples pour l’atrophie vulvo-vaginale ! En Angleterre, des traitements d’œstradiol par voie vaginale sont accessibles sans prescription, ce qui montre bien que ce n’est pas dangereux.

Alors que le phénomène de la désertification médicale complique l’accès aux professionnels de santé, où trouver des informations claires, complètes et fiables pour prendre une décision éclairée en matière de THM ?

C’est ce que je suis en train de faire avec vous, et avec l’application (Omena). Je réponds à tous les journalistes, les émissions, je corrige des épreuves, je ne dis jamais non. J’y passe un temps fou, et je pense que c’est ce qu’il faut faire. Le GEMVi met à disposition des fiches d’information claires et complètes destinée aux femmes, il faut les lire !

C’est informées que les femmes trouvent l’accompagnement, voire le traitement qui leur convient auprès des professionnels de santé.

Sources :

  1. Étude ELISA.
  2. Inserm Ménopause Une meilleure sécurité d’utilisation des traitements hormonaux, 18 septembre 2023.
  3. Haute Autorité de Santé, Traitements hormonaux de la ménopause, 16 juillet 2014.
  4. Fondation pour la recherche médicale, Ménopause : le traitement hormonal substitutif que je prends est-il dangereux pour ma santé ? 4 novembre 2020.
  5. Institut national du cancer, Les traitements hormonaux de la ménopause, 20 septembre 2023.
  6. ameli.fr, Les traitements lors de la ménopause, 24 juillet 2023.
  7. GEMVi
  8. Application Omena

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